Oncle Zacharie-Gaston Camard

Comme dans toutes les familles, il y a dans la nôtre une affaire qui nous intriguait..
Pas vraiment un secret de famille, mais quelque chose qui était laissé de côté.
On n'en parlait pas beaucoup.
Le frère de notre grand-mère Juliette était mort à la guerre de 1914-18.

Son prénom c'etait Zacharie mais tout le monde l'appelait Gaston. Il avait 24 ans et moi je l'ai baptisé Zac.

Pour nous, les informations restaient très vagues.
On savait qu'il avait été porté disparu et qu'il n'était jamais revenu du front.
Son père Pierre, sa mère Joséphine, ses deux soeurs Juliette et Gabrielle et son petit frère André l'avaient attendu pendant
toute la durée de la guerre, en espérant qu'il avait été fait prisonnier ou blessé, ou même qu'il avait perdu la mémoire en recevant
un choc à la tête.

Mais la guerre a pris fin et Gaston n'est pas revenu...

Les demandes émises par la famille à tous les organismes reviennent avec la même réponse lancinante : ni mort ni blessé ni prisonnier..
jusqu'à ce terrible matin du 23 août 1920 où deux employés de la mairie de Marseille sonnent à la porte de ses parents :
- Vous êtes bien Pierre et Joséphine Camard, les parents du sergent Zacharie Camard ?
La mère, Joséphine est devenue toute pâle, elle sent ses jambes défaillir, elle s'effondre sur une chaise, elle a compris...
Le père Pierre est plus coriace, il s'écrie :
- Allez ! Dites-nous vite ! De quoi s'agit-il ? La guerre est finie depuis dix-huit mois et personne n'est capable de nous dire
où est notre fils !

Les employés sont blêmes. Ce n'est pas la première fois qu'ils se trouvent dans une telle situation et qu'ils doivent annoncer
à une famille angoissée la triste nouvelle.
Mais cette fois c'est pire ! Le garçon a disparu depuis les premiers jours de la guerre, le 11 août 1914 exactement.
Et cette famille est sans nouvelles depuis tout ce temps.
Même si ils ont vu tout au long de la guerre, dans les familles alentour des chagrins et des peines, ceux-là ne savent rien
donc ils attendent, ils espèrent encore.. s'il était mort, pensent-ils,on nous l'aurait sûrement annoncé depuis tout ce temps...

Mais Gaston est mort, mort pour la France comme il est écrit sur leur foutu papier, il est tombé dans les premiers au cours d'un combat sanglant à Lagarde dans la Moselle.

Lui ne connaissait rien de la guerre, il travaillait avec son beau-frère François à construire des cheminées d'usine tout autour de la Méditerranée.
Ils s'entendaient bien ces deux-là, on aurait dit deux frères. C'est même Gaston qui va penser à marier sa petite soeur Juliette à ce grand gaillard de François, son chef.
Comme ça il sera sûr de le garder près de lui puisqu'ils deviendront beaux-frères.

C'est ce qu'ils se sont promis quand Juliette a épousé François à Balaruc-les-Bains le 6 juin 1914. Ce projet n'aboutira jamais. Ils ne se reverront plus.
Gaston est parti en Lorraine, François va lui aussi quitter sa femme tout juste enceinte et partir à la guerre.

Mais Gaston n'est pas revenu, Gaston est mort si vite...

Il a été massacré dans un combat de rues; pour défendre un tout petit village paumé dans une vallée de la Lorraine annexée comme on disait alors.
Un village sans importance stratégique, une faute de commandement, le Général Lescot, jugé responsable de ce drame, sera limogé dès le 13 août 1914 par l'Etat-Major.

Gaston et ses compagnons sont morts pour rien. Les Allemands en face aussi.

Mille morts en une seule journée !

Ils se sont entretués, à coup de canons, de mitraillettes et de baïonnettes !

Ils se sont effondrés dans les champs, dans les rues du village,
devant l'église, des rigoles de leurs sangs mélés vont se répandre dans le village.

Les habitants, terrés dans leur maison, vont les enterrer comme ils pourront dès le lendemain.
Il fait une chaleur de fournaise et ils se dépêcheront sous la houlette du curé du village...

Des relevés sommaires sont dressés à la hâte pour identifier
les tombes et souvent leur nom n'est même pas inscrit,
ça ne sera pas facile de les retrouver.

Voilà pourquoi personne ne l'a sû. Personne n'a osé en parler.
Et personne n'a voulu en parler.

L'oncle Gaston a reposé six ans dans une fosse commune
avec un autre soldat français et cinq soldats allemands.

Le fait est si rare qu'on doit se demander dans quel état
étaient les corps pour qu'on puisse les unir ainsi..



A la fin de la guerre, les autorités reprendront les relevés anciens, ouvriront les sépultures et s'efforceront d'identifier les corps.

On retrouvera sa plaque d'identité et on transférera ses restes dans une tombe individuelle (168) de la Nécropole de Lagarde
où il repose encore avec ses compagnons d'infortune.

Repose en paix Oncle Gaston !

Tu es mort pour nous à 24 ans

Jamais on n'oubliera ton sacrifice...

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